Depuis quelques semaines le mot « évaluation » est sur toutes les lèvres dans la sphère politique et le milieu éducatif. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation Nationale, a décidé de multiplier les évaluations avec le but affiché de « donner des outils aux enseignants pour adapter leur pédagogie au plus près des besoins des élèves ».
Mesurer l'efficacité d'actions pédagogiques n'est cependant pas en soi une révolution puisque dans le monde de la formation professionnelle, l'évaluation est déjà un passage obligé, presque un rituel pour les participants.
Selon une étude que nous avons menée en juin 2018, 95% des responsables de formation d'entreprises de plus de 500 salariés en France demandent à leurs collaborateurs d'évaluer leurs sessions de formation.
Quand on sait que les dépenses nationales pour la formation professionnelle sont en hausse et représentent 31,6 milliards d'euros pour l’apprentissage, statut qui concerne plus de 5% de la masse salariale des grandes entreprises, on comprend bien pourquoi les financeurs de la formation professionnelle veulent s'assurer de son utilité.
Nous avons décidé de nous pencher sur ce sujet le mardi 26 juin pour notre 1ère édition des Petits Déjeuners de la Formation, grâce aux témoignages d'un expert et de trois responsables de formation de grands groupes :
- Jonathan Pottiez, auteur du livre "L'évaluation de la formation" et Digital Learning Consultant chez MySkillCamp.
- Raphaëlle Gay, responsable de communication et de formation @SNCF Développement
- Adeline Soulié, responsable de formation @Unibail-Rodamco
- Luc Vandenboomgaerde, chef de projet formation @ADP
1. Evaluation à chaud, évaluation à froid : vos règles d'évaluation doivent être définies en amont
A chaud, à tiède, à froid : difficile de s’y retrouver pour savoir quels questionnaires d’évaluation utiliser et quand les envoyer. Selon Jonathan Pottiez, « le processus d'évaluation doit être écrit, déterminé. Vous devez définir à l'avance les critères d'envoi d'évaluation en fonction des types de formations ».
Si aujourd'hui a minima les sociétés évaluent la « réaction » de leurs apprenants, c’est-à-dire leur satisfaction à l’issue de la formation, c'est rarement suffisant.
D'autres types d'évaluation (Niveau 2 - apprentissage, Niveau 3 évaluation des comportement « à froid », Niveau 4 résultats selon le modèle de KirckPatrick) vont permettre d'aller plus loin et de vérifier l'efficacité des actions de formation mises en place.
Ce qu'ils disent :
- « Le simple fait de prévenir les apprenants qu'ils vont devoir compléter un questionnaire quelques mois plus tard dont les résultats seront partagés aux managers change radicalement leur implication en formation », souligne Jonathan.
- « Il est intéressant de corréler le feedback du collaborateur trois mois après avec celui de son manager et d'avoir quelque chose de très factuel », précise Luc.
Pour autant, ajustez quand même le niveau d’évaluation en fonction de l’enjeu. Jonathan s’explique : « Par exemple, il n'est peut-être pas nécessaire de dépenser son énergie à évaluer à froid le transfert de compétences pour une formation qui a duré deux heures et qui a été uniquement demandée par le collaborateur ».
2. Ne créez pas trop de questionnaires et de protocoles d'évaluation différents
Ce n'est pas parce que vous avez des centaines de formation différentes qu'il faut avoir un questionnaire par type de formation. « J'ai travaillé avec une société qui avait 150 questionnaires d'évaluation à chaud différents tout simplement parce qu'elle avait 150 formations » nous raconte ainsi Jonathan.
Il devient alors impossible pour la société de consolider les résultats et de réussir à comparer l'efficacité des formations entre elles. « C'est comme si vous compariez des poires, des choux et des carottes » ironise Jonathan.
Les conseils de nos experts
- Pour Adeline, « le questionnaire d'évaluation à chaud doit contenir des questions très générales qui s'adaptent à toutes les formations. Pour l’évaluation à froid, l'idée c'est d'avoir un questionnaire intelligent qui reprend les actions sur lesquelles s'est engagé l'apprenant lors de ses réponses au questionnaire à chaud ».
- Pour Raphaëlle, « tenez-vous en à quelques questions primordiales, sans trop rentrer dans le détail d'éléments qui ne vous serviront pas par la suite à mener des actions concrètes ».
- Attention à bien choisir votre solution d'évaluation de la formation. Choisissez de préférence un logiciel simple d'utilisation où vous aurez la main pour personnaliser le design et les questions. À la clé : un taux de réponse qui augmentera significativement.
3. Inutile de vouloir mesurer le ROI de ses formations
Un grand nombre de directeurs de formation veulent connaitre le « retour sur investissement » (ROI) de leurs actions de formation. Pourtant selon nos intervenants, ce n'est pas forcément le bon indicateur.
Jonathan indique : « A force de répéter aux directions générales que la formation est un investissement, elles demandent à ce que cela soit traité comme tel ».
Pour Adeline, « la recherche du ROI en formation n'est pas le bon indicateur. Prouver l’impact positif d'une formation en regardant le chiffre d'affaires est très compliqué et je n’ai trouvé encore personne capable de le faire. Pour moi il vaut mieux parler de ROE, autrement dit de retours sur les attentes. »
L'approche ROE consiste à définir des objectifs d’évaluation précis et mesurables en décryptant les attentes des commanditaires de la formation. Généralement en creusant avec eux, on se rend souvent compte que leurs véritables attentes sont loin d'être hors de portée (ex : pour une formation excel, il pourra s'agir de savoir faire un tableau croisé dynamique, pour une formation sur la comptabilité être capable de construire un compte d'exploitation etc).
Luc en est convaincu : « L'approche ROE est plus constructive, tout le monde est réellement mis à contribution. On peut s'appuyer sur les tableaux de bord des équipes : des témoignages de formateurs, des feedback, des indicateurs business.»
4. Digitalisez votre processus d'évaluation et utilisez des questionnaires simples
La dernière étude DIDUENJOY sur les pratiques d'évaluation de la formation montre que 61% des responsables de formation continuent à utiliser le format papier (résultats complet dans notre guide en cliquant ici). C'est une pratique d'autant plus étonnante que le discours dominant des entreprises est celui de la transformation digitale.
En 2018 il serait temps selon nos experts d’aligner la « 0 paper policy » des grandes entreprises et les pratiques de collecte de feedback de formation. Même en laissant de côté l'aspect peu écologique des questionnaires papiers, ils sont très peu pertinents selon Jonathan : « les réponses sont largement biaisées par la présence du formateur lorsque le collaborateur remplit l’enquête ».
Enfin, collecter des feedback par version papier rend leur exploitation plus difficile.
Les conseils de nos experts :
- Raphaëlle privilégie les questionnaires courts avec des smileys : « nous faisons le choix de poser uniquement des questions qui déclenchent des actions, donc forcément notre questionnaire est court. »
- Adeline aussi veut orienter ses enquêtes post-formation côté pratique.
« On a fait le choix de ne laisser qu'une seule question ouverte. On communique les suggestions d'amélioration au formateur. L'objectif est de ressortir des informations immédiatement applicables ».
- La clé pour Adeline : faciliter la vie des répondants. « Auparavant on demandait à nos collaborateurs de se connecter au portail Learning Management System (LMS) pour répondre aux questionnaires : les démarches étaient beaucoup trop compliquées donc le taux de réponse trop bas ».
5. Partagez les résultats avec les parties prenantes
Fini les enquêtes post-formation systématiques, vos collaborateurs vous rendent service en répondant aux enquêtes. Si vous voulez que vos collaborateurs répondent et se sentent impliqués, il faut leur expliquer l'utilité de l'évaluation et les actions qui en découleront.
- Le mot de Raphaëlle : « Nous prenons la peine de répondre à tous les collaborateurs qui n'ont pas apprécié une formation. Cela permet de creuser les motifs d'insatisfaction et d'améliorer le contenu de nos formations ».
Récoltez des avis sans tenir vos collaborateurs au courant des évolutions leur donnera l’impression de remplir une enquête dans le vide. L’enjeu est qu’ils y voient un intérêt pour eux.
- Jonathan explique : « Trop d'entreprises collectent l'informations mais ne renvoient rien. Vous allez complétez le questionnaire si vous y avez un intérêt. Vous devez communiquez les résultats à l'apprenant, au formateur et au manager ».
Alors, prêt à évaluer vos formations ?
Pour retrouver un résumé vidéo de cette première édition des petits-déjeuners de la formation, cliquez ici.