Il était une fois, dans les années 1950, un client désireux d’acheter une 2CV… Il lui fallait être tellement patient qu’il lui arrivait parfois, après avoir reçu sa voiture, d’en commander immédiatement une nouvelle pour être sûr de la recevoir 5 ou 6 ans après…
De même, dans les années 1960, une personne nouvellement installée à Paris devait attendre en moyenne 2 ans pour obtenir une ligne téléphonique fixe. Et il ne râlait pas…
Il n’y a encore pas si longtemps, les banques ou les bureaux de Poste étaient fermés à l’heure du déjeuner. C’était aux clients de s’organiser en conséquence…
Les entreprises pouvaient imposer leurs propres contraintes aux clients et ces derniers n’avaient d’autres choix que de dire merci ! Il va sans dire que le traitement des réclamations des clients était alors négligé.
Pour les salariés de ces entreprises en situation de monopole ou quasi-monopole, la vie était quand même plus simple !
Et puis, à partir des années 90, les règles du jeu ont changé : la crise économique, l’accroissement de la concurrence ont rendu les clients plus difficiles. Les entreprises ont perdu progressivement leur pouvoir d’imposer leur loi et cette tendance n’a fait que s’accélérer depuis.
Le client, ultra informé sur les produits, les services, les prix, les concurrents, est devenu un problème pour certaines entreprises ! Un client problématique : quelque chose ne tournait vraiment pas rond…
Il n’y a pas que le contexte macro-économique qui explique cette révolution. La nature des produits et des services ont aussi changé. Dans la plupart des industries, les barrières à l’entrée définies par Michael Porter ne protègent plus autant les positions dominantes. De nouveaux entrants ou produits peuvent plus facilement renverser les entreprises.
Un produit, quel qu’il soit, tire désormais une part croissante de sa valeur par les services additionnels qu’il est capable d’offrir aux clients.
C’est pourquoi il y a une course aux objets connectés. Si demain par exemple, BMW est capable de fournir à ses clients une berline avec des services d’assistance d’aide à la conduite (info trafic, alertes radar), de sécurité (appel automatique des secours en cas d’accident), ou encore de divertissement (musique en streaming, navigateur internet) il aura, pour une voiture techniquement et visuellement équivalente, un avantage comparatif énorme sur ses concurrents directs.
Pour décrire ce phénomène, Gilles Babinet dans son dernier livre Big Data, penser l’homme et le monde autrement (en vente ici) parle de “révolution du processus de valeurs pour les entreprises”.
Dans cette course aux services, la bonne gestion du service client revêt une importance cruciale et constitue un avantage concurrentiel fondamental car il est, au fond, plus difficile à copier : un bon Service Client suppose en effet, au-delà de la qualité intrinsèque des produits et services offerts, une parfaite coordination et coopération entre les différents services de l’entreprise.
Uber, Airbnb, Zappos, Apple, Amazon toutes ces entreprises se sont imposées sur leurs marchés en offrant à leurs clients une expérience personnalisée et un Service Client exemplaire.
Aujourd’hui, ce constat est partagé par toutes les entreprises qui veulent revoir à la hausse tous leurs standards de qualité : accueil, temps d’attente, délais de livraison, horaires d’ouverture, traitement des réclamations clients.
Elles ont donc étoffé leur service client pour mettre « le client au centre » de leur stratégie. Cette « centricité » client, pour reprendre un anglicisme à la mode, est désormais revendiquée par tous.
Pourtant, on a parfois l’impression que les entreprises tentent encore de ruser avec les clients, en décourageant ces derniers de les contacter ou en confiant à des tiers la gestion de leur relation client. Comme s’il s’agissait d’une activité mineure… ou d’une activité parmi d’autres !
Or, rappelons cette évidence : mettre le client au centre c’est simplement revenir à la base. L’oubli du client est une anomalie historique. En organisant toute son organisation autour de la satisfaction de son client, Amazon n’a rien inventé : il n’a fait que revenir aux fondamentaux du métier de commerçant…
Les clients d’ailleurs ne sont pas dupes : selon une étude BVA menée en juin 2013, seuls 20% des Français qui ont effectué une réclamation ont été satisfaits du traitement par le Service Client
Cette ruse de la part des entreprises est sans aucun doute depuis longtemps contreproductive. Mais l’absence d’instrument de mesure renforçait les organisations dans leur illusion de maîtrise.
Aujourd’hui, l’absurdité de cette stratégie est révélée au grand jour par les réseaux sociaux, qui jouent un rôle de défouloir pour des clients désormais parfaitement conscients de l’inversion du rapport de forces en leur faveur.
Les clients utilisent en effet de plus en plus les réseaux sociaux pour contacter le Service Après Vente.
Il y a deux raisons à cela :
Ainsi Facebook et Twitter, des outils a priori de community management, censés promouvoir les offres des marques et absolument pas gérer les réclamations, ont-ils été détournés par les clients pour obtenir satisfaction. Et les chiffres leur donnent raison !
Toujours d’après l’institut BVA, dans L’observatoire de la relation client 2014, les clients qui ont eu recours aux réseaux sociaux se disent satisfaits à 87%. Un record absolu selon le JDN ! Signe que les entreprises ne déploient pas les mêmes moyens pour répondre aux sollicitations des clients quand ils les contactent sur les réseaux sociaux que lorsqu’ils composent le numéro du service client.
Ne nous y trompons pas, le fait que Twitter ou Facebook soient des canaux beaucoup plus efficaces pour traiter les réclamations que le Service Client est le signe d’un dysfonctionnement. Ce ne sont pas des plateformes faites pour cela, les données personnelles des clients n’ont pas vocation à être dévoilées et cela fait peser un risque sur l’image de l’entreprise ! Ainsi Gilles Reeb, CEO de l’agence de social media Uzful déclare dans le JDN :
Nous demandons toujours, à un moment ou à un autre, de passer en messages privés
Laver son linge sale en privé est finalement toujours préférable !
Les entreprises ont tout à gagner à construire un service client ultra réactif, personnalisé et facilement joignable par les clients. Le Service Client n’est pas une charge pour les entreprises, c’est une nouvelle barrière à l’entrée.
Il suffit d’insérer un ”@” ou un ”#” pour entrer en relation très rapidement avec le Service Client d’une entreprise sur Twitter. Il n’est pas nécessaire de connaître le numéro ou l’adresse mail du Service Après Vente.
Ne pourrait-on pas imaginer un outil aussi agile que Twitter tout en restant dans la sphère privée ?
Le bouton connecté Darty, à ce sujet, est une bonne piste car il assure une assistance téléphonique rapide, 24h/24 sur tous les appareils qu’ils aient été achetés ou non dans cette enseigne. Néanmoins cela reste contraignant pour le client qui doit s’équiper, payer 25 euros puis s’abonner à ce service pour 3€ par mois…
La vraie révolution serait alors la création d’une application mobile très fluide, transformée en plateforme ouverte à toutes les entreprises, permettant aux clients de contacter aussi facilement que sur Twitter n’importe quel Service Client, sans nécessairement étaler son problème sur la place publique.
Encore faudrait-il que les entreprises comprennent leurs intérêts à être aussi réactives et efficaces avec leurs clients, même si les échanges restent dans le domaine privé… Et qu'elles acceptent aussi de confier à une interface tierce la gestion de leur relation client, un “coeur de métier”. C'est d'ailleurs ce qu'ont refusé certaines chaînes hôtelières pendant des années avec leur système de réservation - avec le transfert de valeur qu'on connait vers les hotels.com et autres booking.com…
La révolution du Service Client ne fait décidément que commencer !