Toutes les semaines je rencontre des responsables de formation de grands groupes et presque à chaque fois ils me disent qu'ils aimeraient pouvoir montrer à leur direction générale le « retour sur investissement » de leurs actions de formation.
On l'a vu dans un précédent article, la dépense nationale pour la formation professionnelle continue, l’apprentissage s’élève à 31,6 milliards d’euros et les entreprises demeurent le principal financeur (45,2 % de la dépense globale) devant les régions (14,2 %) et l’État (11,8 %). Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger sur le rapport qualité prix de cette dépense qui représente 1,5% du PIB. Mais comment rendre des comptes au commanditaire de la formation ? Comment évaluer sa performance ? Deux méthodes s’opposent.
Le ROI pour plaire aux financiers
Le ROI de la formation (« Return On Investment » ou Retour sur Investissement), a été popularisé par Jack Phillips dans les années 90. Ce ratio financier sous-entend une conception quantitative de la formation. Les changements induits par la formation doivent avoir des retombées financières, sinon elle n’a pas lieu d’être. Le ROI est une réponse à ce raisonnement : « pour un euro investi dans la formation, nous en gagnons X ». Pour être exact, le calcul des coûts doit être effectué avec minutie, il s’agira de s’équiper d’outils de reporting. Cette méthode d’évaluation a le mérite de plaire aux dirigeants, aux commanditaires de la formation. Mais elle fait peser une pression de plus en plus forte sur les épaules des responsables de formation.
Par ailleurs, s'il est facile pour un directeur commercial de prouver le retour sur investissement de ses actions ("les ventes ont progressé de X% en 2018"), il est beaucoup plus difficile de prouver le succès d'une formation en terme financier.
Outre la complexité de son calcul, cet indicateur peut être perçu comme émanant d’une vision défensive et limitée de la fonction formation. Au lieu d’associer le commanditaire à un projet commun pour changer et améliorer l’entreprise, elle cantonnerait l’organisme formateur à un intermédiaire devant justifier ses profits.
Le ROE pour un partenariat formateur/commanditaire
En 1959, Donald L. Kirkpatrick présentait son modèle d’évaluation des résultats de la formation dans une série d’articles de la revue Training and Development. Un demi-siècle plus tard, son fils James D. Kirkpatrick et sa belle-fille Wendy Kayser Kirkpatrick publient, dans la même revue, une méthode d’évaluation basée sur les attentes des clients de la formation, le ROE (« Return on Expectation », « Retour sur les attentes »).
La méthode ROE présente la particularité de se dérouler avant même le début de la formation. En effet, l’essentiel est de définir des objectifs d’évaluation clairs, précis, mesurables et réalistes à partir des attentes floues et implicites des clients de la formation. Pour cela, le responsable de formation doit préparer son évaluation au moment de la conception et du choix de sa formation :
L’originalité de la méthode est de partir des résultats organisationnels pour définir des modifications de comportements attendues puis des objectifs d’apprentissage et enfin atteindre la satisfaction.
Les sept étapes de la méthode ROI :
Un exemple concret :
Prenons l’exemple d’une formation à la gestion d’appels téléphoniques. L‘objectif de l’entreprise est que le temps de traitement moyen d’un appel diminue. Si tel est le cas, la formation influencera, à moyen terme, les coûts de l’organisation liés à la gestion des appels, la principale attente des clients. Cet impact pourra être vérifié quelques mois plus tard. A court terme, un indicateur de réussite est la diminution de la durée de traitement moyen d’un appel.
L’étape suivante consiste à définir les nouveaux comportements qui devront être adoptés par les personnes formées. Dans notre exemple, les personnes formées devront oublier leur ancienne manière de faire et prendre l’habitude de poser au client les questions permettant de définir précisément sa demande. Arrivé à cette étape, on peut commencer à concevoir la formation : établir la liste des objectifs d’apprentissage, rédiger un contenu, penser à des exercices, sélectionner une méthode d’enseignement, etc. L’étape suivante est de contrôler et ajuster la formation en fonction des indicateurs de court terme.
Finalement, quelques mois après la formation, son effet sur les résultats organisationnels peut être mesuré. L’évaluateur est en mesure de donner un feed-back aux clients de la formation. Dans notre exemple, l’analyse du ROE met en lumière une baisse de 15 % du coût moyen de traitement d’un appel, ce qu’attendaient principalement les clients. La formation peut donc être considérée comme un succès au regard des attentes et des objectifs exprimés.
Avantages et limites du ROE
La méthode ROE met en évidence l’importance de la conception de la formation, pour un impact positif sur les résultats organisationnels. L’évaluation n’est plus vue comme une activité post-formation mais comme une activité qui se passe essentiellement avant la formation. Elle n’est plus pensée de manière isolée mais fait intégralement partie du processus d’ingénierie de la formation.
En revanche, le ROE en tant qu’indicateur est une information « qui ne parle pas » aux dirigeants des organisations, plus habitués à raisonner en termes de ROI. En outre, cette méthode est difficile à mettre en place quand les clients de la formation sont très nombreux. Pour conclure, le ROE change notre manière d’aborder l’évaluation de la formation. Autrefois pensée comme une mesure de fin de processus, réalisée par un évaluateur isolé, elle devient une des premières étapes de conception d’une formation à laquelle participe toute l’organisation